La boucle de séparation : la phrase n'est ni la seule étrangeté, ni le seul paradoxe du film. Elle est emblématique, car le film dépasse nos manières d'être, de voir, le statut des objets et des êtres vivants. Il façonne son territoire en rapprochant des paysages de différents espaces ou continents. Contexte ? L'Argentine. Une île, grande, puis des îlots, un pays de haute montagne et un gros plan sur une pierre, des ruisseaux et la mer, très proche, d'abord survolée puis en fondu. Les plans et les axes de prise de vue divergent - la caméra recule ou se rapproche, s'approche précisément ou s'éloigne - de cette invention d'une terre où vivre sans plus de précision. Cette union de régions diverses concerne aussi les animaux : un lama sur un terrain montagneux avant un gros plan sur ses oreilles en mouvement, des rennes courant dans la steppe, des moutons, proches, puis lointains, sur les rochers. Tous s'inscrivent dans cette géographie, se mêlent au paysage, mais un cheval de Przewalski à la crinière dense, le dos recouvert d'une nappe au lieu d'une selle, devient leitmotiv et scansion rapide, ainsi qu'un personnage étrange : une jeune femme, déjà vue une fois, émergeant d'un amas de tissus pour déployer l'étrange drapeau de ce non-pays, de tous les pays. La ville et ses artefacts se visitent, sautant de l'un à l'autre sans itinéraire logique, sinon celui de cet être : des murs, des ateliers avec des machines à teindre les tissus, des rouleaux de tissus protégés ou non par du plastique et une nappe circulaire qui revient sans cesse. Par ailleurs, la couleur se répand dans les rues grises sur des tas de fils emmêlés, des coussins en forme de lettres pour réécrire l'étiquette « Rêves », des morceaux de tissus posés à même le sol... et des nappes rondes, sauf, sur le dernier mur, une rectangulaire, mais avec les mêmes motifs, et c'est là que le voyage s'achève. D'ailleurs, le mouvement se complexifie au fur et à mesure que le cercle - le cercle du film - prend possession du mouvement et des motifs. Une attitude pianistique accentue la montée des lumières, celle reflétée par des cercles concentriques, celle d'un immense lustre sous lequel des vagues se déversent en demi-cercles, celle d'un rond-point... le scintillement fait sursauter le cheval ainsi que la femme qui a quitté la montagne après l'avoir arpentée, toujours vêtue du même costume - un pyjama à fleurs sans trou pour la tête. Elle se cache sous les rouleaux dans les ateliers ou avance, recule vers un grand bâtiment. Pas d'autre explication que d'être précis. La nappe, qu'elle n'enlève jamais, est comme un immense sombrero, avec ou sans trous pour les yeux ou avec deux étranges tubes en plastique. Ils deviennent sa peau extravagante, quelles que soient ses attitudes, les lieux, les circonstances dans l'atelier, dans la montagne, à l'intérieur comme à l'extérieur. Sous la folie apparemment chanceuse, l'impulsion des voyages... seule, elle ne rencontre pas les autres, seule, elle tourne. Simone D.
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