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Film

Pierre Merejkowsky

Film expérimental | France | 16 mm | 1.37 | Couleurs | Sonore | 1992 | 52'  00"

Original language: Français Screening Copy: digital video
Je ne me souviens plus de la date de tournage de FILM. FILM a été tourné  dix ans après Scène de ménage chez les Gauchistes, et quelques années après  le Joueur  et Myriam ou un reportage vérité au cœur de Sainte Russie (soutenu  par le GREC  Groupe de Recherche Expérimental Cinématographique). Ma participation dans la création d’une communauté de lutte non violente en liaison avec les ouvriers agricoles de l’Aude, et surtout mon retour à mon point de départ dans l’appartement de ma mère occupé également par mon père, m’incitèrent à rédiger un  CV qui stipulait  que  je suivais  par correspondance un cours  de programmeur informatique dans une université américaine. Naturellement les ricanements condescendants de ma famille  s’empressèrent de claironner que mon embauche au poste de pupitreur dans la Bank of  Boston avait été facilité par ma mère qui en sa qualité d’ancienne membre du Parti Communiste Français avait été embauchée par François Mitterrand pour diriger une des banques que le Gouvernement de Gauche avait nationalisé. La vérité ne correspondait en aucune façon à ce dénigrement  feutré et familial. Le cadre supérieur qui  signa mon embauche précisa qu’il n’avait été aucunement dupe de mes mensonges et que l’invention de cette université américaine prouvait que je maîtrisais les enjeux du fonctionnement d’une banque d’affaire américaine. Au bout de quinze jours mon supérieur hiérarchique attira mon attention sur une gomme que je n’avais pas remise à  sa place en affirmant devant mes collègues que cette gomme était la propriété de la Bank of Boston. Il ajouta que ma tenu physique entrant en contradiction avec l’ascenseur social que représentait un emploi occupé dans une banque, il m’interdisait tout contact avec mes collègues et que je lancerais désormais le programme informatique après le départ de tous les employés. « Je vais être clair avec vous,  précisa  mon supérieur hiérarchique, nous avons décidé de vous confier la clef de la banque, vous pourrez  faire ce que vous voulez dans notre salle informatique ou en dehors de notre salle informatique, étant bien entendu que si les rapports ne sont pas imprimés le matin sur mon bureau, je vous fous à la porte » (En cette fin des années quatre vingt, le taux de chômage ne  concernait qu’une fraction intime des travailleurs et les employés voulaient préserver leur enfermement familial). Je tiens à préciser que cette phrase « si les imprimés ne sont pas posés sur mon bureau je vous fous à la porte » influença considérablement mes rapports avec les producteurs qui produisirent par la suite mes films. J’ai tout de suite compris que je pouvais tourner ce que je voulais dans et en dehors de mes films, à la seule condition, que le film devait être achevé et déposé sur le bureau du producteur sous peine d’une mise à la porte définitive et immédiate. Les circonstances de cet ajout verbal de mon contrat à durée indéterminé ne furent pas uniquement imposées par le nécessaire respect des conventions propres à une banque d’affaire américaine. Mon supérieur hiérarchique m’avoua qu’il m’avait engagé parce que ses collègues cadres ne comprenaient pas qu’il envisageait régulièrement de démissionner de la Bank of Boston afin de  se ressourcer dans la co-gestion d’un restaurant en Guyane Française. (Ce qu’il fit effectivement l’année suivante et je n’ai plus jamais eu de nouvelle de ce supérieur hiérarchique) J’ai respecté à la lettre cet ajout verbal à mon contrat de travail. Pendant plus de dix ans,  j’ai appuyé sur la touche de l’ordinateur qui commandait le lancement de l’impression des rapports comptables de la Bank of Boston et   j’ai fréquenté le café qui était en contrebas de la Bank of Boston.  Ce café était  le point de ralliement des figurantes du Crazy Horse et des vendeurs à la sauvette  de cartes postales et de cacahuètes des Champs Elysées. Ma tenu physique et mes propos ne m’ont pas permis de sympathiser avec les figurantes du Crazy Horse qui s’exprimaient il est vrai majoritairement en  anglais, mais j’ai par contre rapidement sympathisé avec les vendeurs à la sauvette En ce temps là,  la police n’avait pas le droit de confisquer la marchandise des vendeurs sans patente, le cinéma le Lincoln projetait des films d’auteurs français adeptes de l’exception culturelle nationale et les prostituées avaient le droit de racoler sur les Champs Elysées. Un des vendeurs à la sauvette qui fréquentait ce café me raconta  qu’il avait été pilote dans l’aviation du Shah d’Iran et qu’il suivait  des études dans une université française. Il me payait toujours mon café, ce qui des années plus tard, me posa  une série de questions dont je n’ai pas trouvé les réponses. Il déclara un soir qu’il ne comprenait pas pourquoi j’avais arrêté de tourner des films, ni pourquoi je passais mes soirées dans un  café à attendre ma paye de la Bank of Boston.  Il me donna le lendemain une bobine de film 16 millimètres, et après avoir prononcé un bref éloge de Albert Camus qui était toujours à l’écoute de petites gens dans les cafés, il me convainquit  de réaliser un film avec les vendeurs à la sauvette. Je n’ai jamais oublié ce premier acte de production qui ne se concentra pas uniquement sur le seul financement de la première séquence de mon film FILM. Nous déposâmes une affiche dans le bureau de la Commission d’Attribution des subventions  du Centre National du Cinéma et nous précisâmes  qu’il nous serait impossible de photocopier en huit exemplaires ce dossier qui devait être soumis à l’appréciation des Membres de la Commission. D’autres tentatives de production succédèrent à cette visite dans les locaux du Centre National de la Cinématographie dont l’entrée à cette époque n’était pas protégée par un vigile et une caméra de surveillance.  Cet ancien pilote de chasse affirma ainsi que Karmitz voulait me rencontrer, ce que bien sûr ne me confirma pas la secrétaire ou la stagiaire roumaine de Karmitz. L’histoire de cette vérité et de mensonge ne s’arrête pas cependant à ce rendez vous manqué. Ma mère avait été une camarade de cellule du PC de Karmitz et après la reprivatisation de la banque qui avait été nationalisée, elle fut embauchée par Karmitz pour remplir une tâche qui n’a jamais été portée à ma connaissance. Je reconnais que l’embauche d’une mère se télescopant dans un même espace temps avec un pilote de chasse iranien peut s’apparenter à une fiction, voir à un documentaire de fiction, ou à un essai cinématographique expérimental. (Il est inutile de consulter sur un moteur de recherche le nom de ma mère. Ma mère a  adopté dans son travail un pseudonyme et j’ignore tout de la raison de la négation  de mon nom et de celui de mon père)  Mon licenciement  s’inscrivit  dans  la faillite de la maison mère  de la Bank de Boston à Boston (sans  cette faillite  je serais  sans doute encore employé  par la Bank of Boston) Après mon voyage à Mexico,  René Farrabet fut séduit par mon absence de CV couplé à une note d’intention qui en s’appuyant sur les souffrances de ma rupture avec O. trouvait son prolongement parfaitement logique dans  mon refus de tout contact avec les sociétés d’auteur. La bande son de mon film FILM fut programmée dans l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture. Elle provoqua le commentaire acerbe du beau père de deux de mes enfants qui claironna avec une grande satisfaction que la diffusion de mon Film sur France Culture ne me rapporterait que des clopinettes. Une monteuse dont j’ai oublié le nom affirma que les rushes de mon film étaient inmontables (elle se plaignit également de l’apparition soudaine d’un violent mal de tête comparable à celui de la mixeuse de France Culture). Et un ex vendeur d’espaces publicitaires que j’avais rencontré dans une réunion d’opposants internes du Parti Socialiste ayant été profondément ému par le récit de  mes souffrances qui niaient  les sentiments que me témoignaient O.,  me  convainquit de projeter devant mes rares connaissances  mon film FILM sur le poste de télévision de son domicile à Maison Alfort. Je tiens à remercier publiquement cet ex vendeur d’espaces publicitaires. Cette  projection en appartement fut la première série de mes projections minoritaires. Elle n’a cependant jamais effacé de ma mémoire le beau père qui a proclamé devant  mon fils Dimitri et devant sa sœur Clara que mon film FILM ne recevrait que des clopinettes

Credits

Réalisation: Pierre Merejkowsky

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Le Collectif Jeune Cinéma est une coopérative de cinéastes fondée à Paris le 12 juin 1971. Sa vocation est de distribuer des films différents et expérimentaux de toutes durées, rassemblés dans un catalogue enrichi en permanence par de nouvelles œuvres. Ce catalogue couvre un spectre très large d'esthétiques et de pratiques cinématographiques. Il est notamment le seul à inclure des films expérimentaux réalisés par des enfants et de jeunes cinéastes (- 18 ans).

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